Bonjour madame, monsieur,
Que le Graffiti Français repose en paix.
Depuis la popularisation du Graffiti en 1980 et l’émergence d’une scène Graffiti française, il ne se passe plus un jour sans qu’un illustre inconnu
sous-doué nous narre ses exploits en force de vente option drogue. Armé
de sa bombe, de ses gesticulations épileptiques, et de ses lieux
communs, le graffeur lambda nous présente fièrement et quotidiennement
son plus bel étron, nous conviant à l’observer flotter dans la cuvette
des latrines.
Au fond, cela n’est pas bien nouveau : toutes les
tendances qui atteignent un certain seuil de succès, quel que soit le
genre, soulèvent une armée d’épigones, d’ersatz, de clones aqueux coupés
à la pisse. « On dirait qu’un esprit anime mille corps ; c’est bien là
que les gens sont de simples ressorts » La Fontaine le savait bien.
Néanmoins, il semblerait que ce phénomène de merdification ait atteint
une ampleur sans précédent avec le Graffiti. Cela s’explique indubitablement
par le minimalisme bovin du registre. Accessible à tous, il n’est plus
agréable à personne. Qui peut aujourd’hui encore supporter ces satanées fléchettes ? Ces flops "bubble" au kilomètre ? Ces infâmes tags scolaires d'élèves en classe de Segpa ? Ces trivialités vagies ? Comment pourrions-nous accepter de
voir se poursuivre cet industriel déversement méphitique ad infinitum ?
Dieu merci, comme chacun le sent, l’ordalie touche à sa fin. Ce sombre
mouvement est entré dans sa phase de sénescence.
Que le lecteur ne
s’y trompe pas, le Graffiti m’était au départ sympathique. Spontanées,
éruptives, pulsionnelles, ces premières fulgurances m’avaient
enthousiasmées. L’énergie guerrière qu’elle communiquait me donnait
envie de prendre d’assaut le Gouffre de Helm, de planter des têtes de
Hobbits sur des piquets et de pogoter avec Saruman. La flamme brûlait
comme les dépouilles dans le Mordor. Mais un être doué de raison ne
saurait tolérer tant de répétition et de nivellement. Je ne peux plus
bouffer ce que tu me prépares. Je n’ai plus de question préférée. C’est
fini la belle vie. Mon coeur n’est plus rythmé par les pompes et les
tractions. Cela fait des mois que je vois le Graffiti agoniser. Les tripes
à l’air, exténué, il baigne dans son sang, implorant la mort avec ce
qui lui reste de voix… Des mois que je vois des passants nécrophiles
abuser son corps meurtri. Des mois que je prie pour qu’une âme
charitable abrège les souffrances de cette bête blessée… Ô sauveur, lame
de la justice, prodigue donc son ultime sacrement à cette pauvre
créature !
Croyez-le ou non mes frères, mais c’est alors que le
soleil de mon espoir se couchait qu’il apparut. Du néant il surgit dans
un rire sardonique. Levant sa main, la bête blonde s’approcha du Graffiti et le fixant droit dans les yeux prononça ce mot prophétique :
«
Bonjour ».
Qui d’autre pouvait donc admonester la mort par un
commencement ? Il acheva le Graffiti en le transfigurant, conférant ainsi
tout son sens aux paroles de Goethe :
« tout ce qui est parfait dans son
genre transcende ce genre pour devenir quelque chose d’autre,
d’incomparable ».
Ainsi eut lieu la divine résurrection. Je me précipita
alors vers lui en l’interpellant :
« Mais qui oserait donc copuler avec des génitrices après toi, apôtre du Chaos » ?
Dans une sérénité totale, il me répondit :
« Personne. Ils sont tous retournés bicrave dans leur bâtiment »
« Dieu soit loué ! Mais où étais-tu donc ? Pourquoi avoir tant tardé ?
Pourquoi avoir laissé nos âmes en proie à la mutilation ? »
« J’étais en haut de la montagne, je cherchais le buisson ardent »
« Et l’as-tu trouvé ? »
« Oui »
« Et que t’as-t’il dit ? »
« Bonjour »
« Est-ce donc tout ? »
« Non »
« Et quoi d’autre ? Parle donc âme noble ! »
« Bullshit ».